Une fois dans le ferry, nous découvrons que les “food pass” que nous avions commandé avec les billets sont valables au bar. Je crois que certains du groupe ont vidé leur food pass avant même d’avoir atteint le premier repas.

Nous profitons donc de la bière du bord pour nous découvrir (au figuré, espèce de gros dégueulasse)

Dans l’équipe nous avons donc:

• Akim, vétéran des Maroc 2015 et 2016, qui vient cette année sur une KTM1290
• Basti, bleu-bite de l’Afrique, et accessoirement directeur d’un club libertin à côté d’Annecy
• Papy, vétéran de tellement de Maroc qu’à l’université de Meknès, ils enseignent que Papy a inventé les dromadaires.
• JK2R, l’autochtone de l’équipe, dont une partie de la famille habite encore au Maroc, mais qui n’a jamais fait de tout-terrain dans la contrée de ses ancêtres.
• Un 4×4 de bobo parisiens, beau, puissant et propre, contenant deux parisiens: Ziton et Zora. Nous les appelleront ZZ Top!
• Un 4×4 de redneck, sale et à la carrosserie constellée d’impacts, contenant Némo et moi.

D’ailleurs, la mention du métier de Basti révèle pas mal sur les gens.

– alors, en effet, je dirige un club libertin
– c’est intéressant ça. C’est quoi? C’est comme échangiste?
– vache, tu dois palper un max de pognon, non?
– tu fais partie de la mafia?
– vous avez une page facebook avec des vidéos?
– vous faites des trucs avec les animaux?
– il y a moyen de se faire un peu attacher et fouetter?
– pas con, ça! on peut se faire fouetter avec des animaux?

_{(Aussi stupéfiant que cela puisse paraître, l’intégralité des dialogues ci-dessus a bien eu lieu)}

Devant tant de réactions qu’il n’avait pas anticipées, Basti est pris de court, et nous révèle qu’en fait, il fait un autre métier dans lequel les clients paient et se font enfiler:

– ‘tain mais vous êtes trop chelous en vrai! Bon, en fait, je bosse au Trésor Public
– ah?
– ouais, pas dans un club libertin, au Trésor Public, OK?
– donc pas d’animaux?

Entre deux éclats de rire, JK2R finit par dégotter un rhum potable au bar. Il fait également une découverte scientifique majeure: les muffins au chocolat du bord sont encore meilleurs quand on les passe 10 secondes au micro-ondes.

Je m’éclipse avec lui pour terminer la nuit sur le pont arrière.

Au réveil, nous sommes coincés au port de Barcelone. Notre rafiot hors d’âge y restera jusqu’à 14h, alors que nous aurions du repartir avant même le lever du soleil.

Dit autrement: nous ne sommes pas encore arrivés au Maroc, mais le planning prend déjà l’eau.

– mais comment on va faire?
– on verra.
– mais à quelle heure on arrive?
– on verra!
– mais aura-t-on le temps de prendre la piste?
– ON VERRA!

Némo me demande si c’est toujours comme ça, impro-freestyle avant même d’arriver au Maroc.

Une fois le bateau reparti, de minuscules vaguelettes agitent notre coquille de noix. Ce qui déclenche une nouvelle épidémie de mal de mer chez les estomacs sensibles. Certains du groupe prennent une couleur inquiétante, d’autres s’improvisent dealer. La Nautamine s’échange à un cours supérieur à l’ecstasy pendant une love-parade.

Le ventre à moitié stabilisé par l’avalanche de produits de synthèse introduite en loucedé dans le bateau, il ne nous reste plus qu’à faire les trucs de base du baroudeur malade qui attend le début de son aventure:

Si Akim a choisi de passer de la Nautamine en contrebande, Némo a été plus pragmatique: elle a passé un bocal de groseilles baignant dans de la gnôle artisanale. Le truc est bon, mais pourrait servir de décapant sur le bateau!

Nous allons faire la queue obligatoire et perdre des heures, pour remplir la paperasse d’entrée sur le territoire Marocain. Nous franchissons chaque bureau et son préposé tels une guilde de rodeurs bien rôdés allant défoncer la Fissure du Malheur en Tyrie.

En pleine attente, j’entends Akim sur le siège derrière moi interrogeant un “baroudeur” en 4×4, venu avec un Land Cruiser coûtant probablement plus cher que la Rolex de Séguéla. Le gars est assis sur le siège derrière le mien, j’écoute la discussion sans réagir…

– vous roulez en quoi, vous?
– en Land Cruiser, évidemment
– à part les Toy’, il y a quoi d’autre de valable?
– euuuh, peut être les Defender, et encore, le Toy’ est infiniment supérieur
– et les Opel Frontera vous en pensez quoi?
– c’est un fer à repasser!

J’ignore l’insulte, et me retiens de le lever et de lui retourner une poignée de phalanges marseillaises dans la margoulette. Néanmoins, j’espère secrètement que son Toy’ tombera en panne quelque part dans le désert, et que je pourrai me payer le luxe de passer à coté en lui faisant un grand signe amical depuis le confort de notre fer à repasser.

Une fois les papiers remplis (4 heures perdues à faire la queue, tout de même…), nous retournons à nos occupations habituelles.

Au restaurant, un gars à une autre table s’improvise chanteur. La sono est immonde, saturée au maximum, et surtout, assez forte pour être prohibée par la convention de Genève.

JK2R se lève, et fait un geste qu’il croit être aimable pour signaler au chanteur de baisser un peu le volume. Mais il le fait avec la tête du gars qui vient de passer 4 heures à attendre dans une file d’attente, debout, dans un bateau, pour avoir un pauvre tampon pourri sur son passeport.

Le message est donc probablement un peu brouillé par son faciès haineux, et le résultat est sans appel: le chanteur jette son micro au loin, et fuit, mi-humilié, mi-terrorisé.

Le ventre plein de groseilles, de gnôle, de chianti, de pizza, de muffins, de rhum, et de drogues diverses, la bande va se coucher.

Demain, c’est le Maroc, le vrai.

A quelle heure?

Maroc 2018 – La carte est là