La nuit fut agitée. Caerbannog le chat mutant a agressé à peu près tout le monde. Basti a même repoussé une de ces attaques avec un flacon de mercurochrome qu’il tenait à la main. Ce qui n’a abouti qu’à un chat-zombie-de-fin-du-monde encore plus agressif.

Ce matin, nous savons que nous avons une trop très longue étape devant nous. Nous tentons donc de repartir tôt. C’est sans compter sur le gardien de l’auberge, qui tente de renégocier le paiement de 150 dirhams la nuit, alors que Ziton avait négocié directement avec le patron un tarif à 100 lors de son explosion téléphonique de la veille.

Les sbires de la famille Zitti nous intercepteront encore une fois dans Bni Tajite avant que nous puissions sortir de la ville, pour tenter une nouvelle fois de nous faire payer un poil plus cher.
Las, nous fuyons vers le Sud-ouest, en direction du légendaire…
Ah, on me souffle dans l’oreillette que les vêtements de ma cousine n’ont rien à voir avec le tajine, et qu’il s’agit en fait d’un col à la réputation terrible. Il serait capable de déchiqueter un train arrière aussi efficacement qu’un Chili con Carne préparé par un cuisinier mexicain travaillant pour Sodexho
Au terme d’une interminable ligne droite, nous arrivons enfin devant une montée nécessitant quelques manœuvres, un peu d’adresse, et quelqu’un surveillant le dessous du véhicule.

On commence à se chauffer, quand au bout de 50 mètres, nous voilà au sommet…
Après tant de légendes entendues sur ce col, tant d’anticipation, nous sommes aussi déçus qu’un routier affamé qui s’attablerait à un restau de cuisine moléculaire.
Naïvement, nous croyons être en avance, et prenons donc notre temps. Akim sort le drone de notre 4×4, et essaie de le faire décoller

Némo choisit de faire prendre de l’altitude à ses photos d’une manière plus conventionnelle, et elle part (en tongs) avec mon reflex escalader les cimes environnantes.


JK2R et moi assemblons un support à GoPro sur le côté du 4×4 à l’aide d’une éponge de cuisine et une sangle à cliquet. L’idée étant de filmer le travail de la suspension lors de la descente sur le versant Sud du col.
Je ne désespère pas de un jour voir cette vidéo et pouvoir la rajouter sur cette page
Nous prenons tranquillement le temps de nous faire un café, pendant que Ziton entreprend de laisser un message au prochain satellite espion américain qui nous survolera.
Puis nous descendons le col, dans la direction de Boudnib.


Petit bilan de la journée: nous sommes partis tard, avons traîné en haut du col, nous avons passé 3h30 depuis le départ pour faire… 50 kilomètres
Néanmoins, nous sommes constants dans notre stupidité, et nous décidons donc de faire une pause pour bouffer. Nous nous arrêtons donc plus d’une heure, pendant laquelle mon colon décide qu’au bout de 4 jours, il est grand temps d’engager la traditionnelle purge du système. Je pars donc me vider dans un des toilettes turques, situé à 1m de la table où nous mangeons, et séparé par une porte battante.

Nous devons donc repartir, pour une étape que nous savons de piste, que nous savons longue, alors qu’il est 14h46. Mais cela serait encore trop simple. Nous décidons donc de nous séparer…
- Papy ayant mal aux guibolles, Akim partira vers Merzouga par la route avec lui.
- Les 2 4×4 rouleront ensemble.
- Basti et JK2R, deux bizuths du Maroc partent donc ensemble.
Je leur demande s’ils ont des réserves d’eau. Ils me disent “2 litres”. J’apprendrai plus tard que ça, c’était la réserve qu’ils ont embarqué le matin, et dans laquelle ils ont déjà copieusement tapé. Je leur répète qu’ils partent en territoire inconnu et potentiellement dangereux, et qu’en aucun cas ils ne doivent se séparer.
C’est bon, là, vous la sentez la fin de journée bien galère?
Les ZZ Tops, némo et moi partons donc jardiner à la sortie de Boudnib pour essayer de trouver la piste. Nous demandons régulièrement notre chemin aux autochtones, qui nous certifient avoir vu passer 2 motos à fond de balle avant nous

Nous tombons face à un gué, dans lequel est coincé un van de type Renault Trafic. Deux Teutons pilotant des Land Rover Defenders équipés pour l’Apocalypse sont en train d’essayer de les aider. Nous faisons donc de gros ploufs dans l’eau en riant comme des idiots, puis attendons les ZZ Top de l’autre côté du gué.
Un des deux Teutons, un bellâtre aussi tatoué que le chanteur des Maroon 5 vient négligemment s’accouder à la portière passager de notre fer à repasser, gonfle trois biceps, enclenche son sourire numéro 5, et lance à Némo
– how you doin’?

Elle tente de bafouiller quelques mots anglais, mais son élocution est perturbée par ses tentatives de retenir le filet de bave coulant au coin de sa bouche. Bon, pour être tout à fait honnête, même moi j’étais tenté de lui demander où il pensait dormir ce soir. A ce moment là, je pensais encore savoir là où NOUS, nous allions dormir.
Nous repartons dans des paysages désertiques mais magnifiques, tout en commençant à remarquer une position du soleil assez basse dans le ciel.
Nous croisons plusieurs vendeurs de fossiles, perdus au milieu du plateau, à plusieurs dizaines de kilomètres du village le plus proche. Pour forcer les “païlottes de course” à ralentir devant leur stand, certains ont pris le risque de l’installer en plein milieu de la piste. D’autres, plus prudents, se sont postés au sommet d’une grande descente, devant laquelle tout être humain motorisé ralentit à 3 km/h avant de s’y engager.
Puis nous croisons…
une chaussure
– Ah, il y en a un qui a crevé! me dit Némo en riant
On continue à franchir des ravines de plus en plus profondes et accidentées.
Puis nous tombons sur…
une autre chaussure
– Ah ben ça y est, on va tomber sur un bédouin pieds-nus! que je m’esclaffe
Nous perdons parfois la piste, et devons naviguer à vue dans le désert. Quelques fois, les passages de ravines nous contraignent à faire demi-tour, ou nous décaler de la piste de quelques centaines de mètres.
Malgré tout, nous progressons lorsqu’on tombe sur…
une troisième chaussure
– OK, donc on cherche soit un bédouin à 3 jambes, soit 2 bédouins, dont un nu-pieds et un avec une seule godasse? je demande à Némo
– c’est zarbi quand même!
On continue à rouler, les ravines s’espacent, des dunes de sable commencent à apparaître
un pantalon
Je résume la situation en regardant Némo d’un œil suspicieux
– un bédouin nu-pied, un autre avec une seule chaussure, mais cul-nu?
– je commence à trouver ça très dérangeant
On slalome entre des dunes, tout en tentant de ne pas s’ensabler. La végétation est très rare, à l’exception de quelques arbres étranges. Ils sont si brillants, d’une couleur tranchant si fort avec le désert alentour, qu’on dirait un arbre en plastique.
Puis nous voyons au loin…
un t-shirt
Je m’interroge à voix haute:
– mais c’est pas possible on va tomber sur un mec à 3 jambes à poil ou quoi?
– TAIS-TOI ET FONCE! JE VEUX VOIR DES GENS NORMAUX À DEUX JAMBES!
On met donc les gaz et on roule sans scrupules sur le T-shirt de ce que l’on suppose être une version marocaine du Docteur Octopus.
Après une dizaine de kilomètres à fond de blinde dans les dunes, nous avons croisé quelques objets épars, sans jamais prendre le temps de les observer en détail. Quand soudain, au sommet d’une dune, j’aperçois quelque chose au loin:
– Némo, on dirait qu’il y a quelqu’un là bas.
– Combien de jambes? IL A COMBIEN DE JAMBES???
– Je sais pas, mais on dirait qu’il a une mob.
Némo commence à pousser un soupir de soulagement
– une mob qui ressemble à une des nôtres…
Le soupir de Némo se coince dans sa gorge
– d’ailleurs il nous fait de grands signes avec les bras…
A ce stade là, nous sommes tous les deux en train de retenir notre souffle
On s’arrête à hauteur de la Triumph de Basti, et celui-ci se jette à ma fenêtre.
– Par pitié, dites moi que vous avez vu mes affaires le long de la piste!
– euuuuh, oui, on a vu des affaires, oui.
– vous les avez récupérées?
– beeeen, en fait, non.
– BORDEL! ma sacoche s’est ouverte! Il ne me reste qu’une chaussure dedans!
– AH BEN VOILÀ! s’exclame Némo
Je la regarde, on explose de rire en pensant à Basti et ses calbuts semés au 4 ventes, quand soudain…
Et là, d’un coup, comme une bulle de savon qui finit par disparaître dans un petit “pop!” iridescent, on a brutalement repris contact avec la réalité…
– Basti, on s’en cogne de tes calbuts
– Oui mais il y avait aussi mes outils, une chambre à air de secours, toutes mes fringues, mon appareil photo, mon…
– Basti, on s’en fout! Où est JK2R?
– Je sais pas, il est parti devant, et moi j’ai fait demi tour pour chercher mes affaires, mais j’ai plus d’eau! Lui non plus d’ailleurs! Et on reçoit aucun signal GSM par ici, donc on peut pas l’appeler!
Oh…
Pu…
Némo et moi, blêmes, sortons de la voiture pour expliquer la situation aux ZZ Tops qui viennent de nous rejoindre. Quelqu’un suggère de nous séparer, un 4×4 qui part chercher les affaires de Basti, l’autre à la recherche de JK2R. Ma réaction est immédiate:

– Les gars, le fer à repasser transporte de la bouffe pour plusieurs jours, 20 litres d’eau, une balise de détresse, de quoi dormir à l’abri et au chaud. On est encore à 50 bornes de Merzouga et il fera nuit dans 30 minutes. Vous pensez vraiment que c’est une bonne idée qu’il parte seul dans le désert, sans que vous sachiez où il est?
– Euh, probablement pas?
– Exactement. Arrêtons les conneries! Basti, tu grimpes dans le Range Rover avec Ziton, vous partez chercher sur la piste ce que vous trouvez. Je vous donne 10 minutes. Ensuite, vous faites demi-tour et vous revenez ici au plus tard dans 20 minutes! Je monte en haut de cette dune, j’y gare le 4×4, j’allume les phares et warnings.
– Mais, et JK2R?
Zora intervient:
– dans 20 minutes, vous serez revenus, on se boira un café, je le prépare, et on verra à ce moment là
Ziton et Basti embarquent dans le Range, et repartent sur la piste à la chasse aux chaussettes et clés à molettes.
Zora, Némo et moi observons alternativement:
- l’écran de nos GSMs indiquant désespérément une couverture réseau nulle
- un splendide coucher de soleil colorant les dunes de reflets dorés
- la piste dans les deux sens, espérant voir la KTM de JK2R revenir vers nous.
Le 4×4 des ZZ Tops revient, Basti a quasiment tout retrouvé. Ils ont du voler bas rouler vite, car ils ont couvert en 20 minutes ce qu’on aurait fait en 1h en temps normal.
La pause café est silencieuse, pesante…
– on fait quoi pour JK2R?
– rien. On ne peut rien faire ici. On avance doucement. La moto de Basti roule entre les deux 4×4, tout le monde roule pleins phares et warnings allumés
– et après?
– on avance en espérant tomber soit sur JK2R, soit sur un endroit où on capte un peu de signal GSM
– et si on trouve ni l’un ni l’autre, on trace jusqu’à Merzouga?
– hors de question! ce soir on bivouaque. On a déjà perdu une personne, vous pensez qu’on va rouler fatigués et stressés dans le sable, de nuit?
On roule encore une heure, épuisés, on s’ensable plusieurs fois. Pas de JK2R, pas de signal GSM.
On essaie d’avancer, même si on a franchi le seuil du raisonnable facilement 10 bornes derrière nous…

On finit par arriver au bord du plateau, devant nous la descente vers la vallée, bien raide, avec une épingle à cheveux au milieu. Il fait nuit noire.
Zora sort du 4×4 des ZZ Tops, et nous regarde tous à tour de rôle
– bon, ne pensez-vous pas qu’on a été assez stupides pour la journée, sans en plus tenter une descente de la mort dans le noir? Yoda, il me semble avoir entendu que tu transporte de quoi nous faire un bivouac?
– Si fait, gente dame! J’ai ici cinq types de bières différentes au frais, des pringles, des cacahuètes, 2 kilos de pâtes, de la sauce bolo, des compotes pour le dessert, 4 tentes, 5 matelas, et au moins autant de duvets. J’ai également du pain de mie et du Nutella pour demain matin, si nous survivons à cette nuit!
– ça devrait aller. Allez, on campe ici!
Nous voilà donc dans le noir complet, à planter un bivouac, dans un sol rocailleux, avec un vent à décorner un âne. Il était temps, la moto de Basti faisant des bruits bizarres, et ayant l’embrayage qui patine.
La bière et les clopes font un peu retomber la pression, même si on se demande tous ce qui a bien pu arriver à JK2R.
Au loin, nous voyons parfois des lumières, mais rien qui se dirige vers nous. Sauf une petite lumière avançant doucement vers nous.
En plein milieu de l’apéro, la lumière s’est assez approchée pour que nous voyions qu’il ne s’agit pas d’un phare de KTM, mais également pour que nous entendions le bruit des bottes marchant un pas cadencé. Nous sommes donc rejoints par 3 militaires, fusil d’assaut en bandoulière, suivis par un chien en laisse.
– bonjour chers touristes! Je suis le caporal Alif. Que faites vous ici?
– bonjour caporal Olaf. Nous avons perdu un des membres du groupe, sommes épuisés, donc nous pensions passer la nuit ici
– cher touriste, savez vous que vous êtes à moins de 3 kilomètres de la frontière Algérienne? c’est une zone de sécurité ici et je dois malheureusement vous demander de vous en éloigner. Et je suis le caporal Alif pas Ol…
– caporal! Nous ne pouvons pas aller plus loin. La moto a un problème d’embrayage, la descente du plateau est extrêmement dangereuse, ça serait prendre le risque d’avoir un touriste qui s’écrase lamentablement en bas de la falaise sur vos ordres.
– ah je comprends. je vais demander au Chef par radio
On retourne à notre apéro, pendant que le Caporal Olaf va discuter avec un autre groupe de touristes en motos et 4×4 qui sont venus s’installer à une centaine de mètres de nous quelques minutes avant l’arrivée des militaires.
Le réchaud pourri de Décathlon refuse de faire bouillir de l’eau. Un débat existentiel sur la pertinence de faire cuire des pâtes dans de l’eau non-bouillante s’engage entre Basti et Zora, pendant que je vais creuser des latrines un peu partout, ma tourista ne prenant pas de vacances.
Le caporal revient
– chers touristes, j’ai eu le chef par radio. Vous pouvez rester ici
– excellente nouvelle Caporal Olaf!
– oui, euh… donc nous rentrons à la base, et une de mes sentinelles va veiller sur vous à la jumelle depuis le poste militaire qui est a quelques kilomètres d’ici. Je dois par contre vous demander de ne pas quitter votre campement avant le lever du soleil, d’accord?
– Roger, Caporal Olaf!
– …..
La soirée se termine, avec des bières fraîches, des vannes pourries, des pâtes mal cuites, des lamentations de Basti disant qu’il ne pourra jamais dormir tant il s’inquiète du devenir de JK2R
Cela ne l’empêchera pas de ronfler moins d’une minute après être rentré dans sa tente…

Hello !
Eh bien dites -moi , c’est coton votre excursion !
Entre les { – how you doin’? , j’ai perdu mes affaires , ma moto patine , z’avez pas vu JK2R , et la tourista } de Yoda !
Quelle aventure , et je sais qu’à ce stade , elle n’est pas encore fini!
Merci Yoda pour cette ta fine plume ….! Un régal
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